13 février 2005
Des anges mineurs d'Antoine Volodine (extrait)
"Dans le quartier
situé le plus à l'ouest après la rue des Praires, il y a des caves où
des hommes s'enferment avec des chiens et les mangent. Dans le quartier
qui le jouxte au nord-est, la pègre contrôle une maison où on peut
apprendre à tuer les gens avec un marteau ou une flèche empoisonnée.
Plus au nord-ouest encore, des rues désertes se croisent sur des
kilomètres carrés, sans que jamais âme qui vive n'y erre. Dans le
quartier suivant, quand on oblique vers le sud-est, on rencontre huits
réfugiés anglais et un Cheyenne déplacé, ainsi que deux Oudmourtes.
Quand on oblique vers le sud, on tombe sur un endroit où autrefois une
coopérative d'ouvrier essayait de vendre aux touristes du poisson séché
et des os sculptés, sur quoi on pouvait admirer des portraits de
communistes et des slogans. De cette activité il ne reste rien, sinon
la table pliante en fer où les souvenirs étaient étalés, et un touriste
qui a cessé là de rouler sa bosse et qui ne bouge plus depuis
deux cent onze ans, avec au cou une statuette de Djerzinski en
faux ivoire. Plus au sud encore s'étend un lac dont l'eau est chaude
été comme hiver et malsaine. Certains en consomment, tout en regrettant
qu'elle ne refroidisse pas, même quand on laisse reposer des heures
sous la terre le récipient qui la contient. Dans la bouche elle pétille
de façon détestable. Sur la berge orientale du lac on doit couper à
travers une zonz en débris, sans végétation, avant d'entrer dans un
quartier où vit un chamane qui est connu pour préparer des onguents
avec lesquels il réveille les écureuils morts et fait renaître les
loutres. Une fois qu'il les a récussités, il les mange. Sur la berge
méridionale, il y a ce qui subsiste d'une usine dont le coeur atomique
est en feu depuis trois cent soixante-deux ans. Si on poursuit en
direction du sud-est, on foule une surface que couvrait, dans le passé,
une grande gare de voyageurs et plusieurs voies de chemin de fer. Dans
un sous-sol qui a été aménagé depuis, on voit, en effet, onze ou douze
mètres de rails qui vont de mur en mur. C'est une salle voûtée ou
s'accumule des gaz qui altèrent le comportement. Quand des vagabons y
échouent pour la nuit, il n'est pas rare que l'idée leur vienne de
s'accoupler dès la fin du jour, sans avoir au préalable fait
connaissance. Ensuite, ils se mangent les uns les autres. Plus loin il
y a des citernes ou pourrit un liquide que quelques vieilles utilisent
comme shampooing [...]"
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J
M
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V
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